16 octobre 2024, 18h00
Elle était magnifique.
Ce mot résonne dans l’esprit de Caroline comme un refrain qu’elle ne peut chasser. Ce n’est pas une affirmation, c’est un souvenir. Magnifique. Ce mot appartient à une époque où elle était encore capable de tenir un crayon, de dessiner des fleurs avec une précision presque obsessionnelle. À l’époque, elle capturait la fragilité des choses : les pétales abîmés, les tiges inclinées, les imperfections qu’elle trouvait belles.
Aujourd’hui, elle ne se reconnaît plus. Ses mains tremblent, son visage lui semble étranger, ses jambes sont recouvertes d’une couverture qu’elle n’ose jamais soulever. Chaque partie d’elle-même est devenue une cage, un poids qu’elle porte sans comprendre comment il a pris cette forme.
La cage d’un corps
Ces mains qui tremblent, ces jambes cachées,
Un corps devenu une cage glacée.
Chaque pli, chaque ride, une trahison,
Un miroir cruel, un éclat d’abandon.
Elle était magnifique, elle en est certaine,
Mais le temps a gravé des lignes de peine.
Son visage, un masque qu’elle ne touche plus,
Un silence figé où la beauté s’est perdue.
17 octobre 2024, 08h20
Le rejet d’une époque
Caroline détourne les yeux de ses mains, de ce visage qu’elle n’ose plus affronter dans le miroir. Elle regarde les carreaux de la fenêtre, où la lumière du jour se brise en reflets ternes. Chaque carreau, chaque surface dans cette unité psychiatrique, lui renvoie une vérité qu’elle refuse d’accepter : la beauté n’existe plus.
Elle pense à ses dessins, ces fleurs fanées qu’elle aimait tant dessiner. Autrefois, elles représentaient une forme d’espoir, une manière de capturer la vie même dans son déclin. Mais aujourd’hui, ces mêmes fleurs lui apparaissent comme des souvenirs d’un monde qui n’a jamais vraiment existé. La beauté, pense-t-elle, n’était qu’un mensonge.
Elle se sent comme un vaisseau sans capitaine, échoué sur une mer glacée. Sa coque est intacte, mais à l’intérieur, il n’y a plus rien. Pas de capitaine, pas de carte, pas de destination. Seulement le froid.
La beauté aux carreaux
La lumière se brise sur le verre sale,
Chaque carreau est une cage banale.
Les ombres dansent, les reflets s’éteignent,
Et la beauté, fanée, s’abstient.
Les fleurs qu’elle dessinait avaient des vies,
Des courbes brisées, mais une harmonie.
Mais ce monde-là, ce monde injuste,
Écrase les fragiles, les rend augustes.
18 octobre 2024, 14h30
Une présence oppressante
Dans cette unité, Caroline n’est jamais seule. Les autres patients sont là, silencieux, mais leur présence est écrasante. Chaque mouvement brusque, chaque respiration irrégulière, chaque regard perdu l’entoure comme une ombre.
Elle sent leurs présences comme une pression sur sa poitrine, une main invisible qui la pousse à se cacher davantage. Ses bras se croisent sur son ventre, ses jambes se replient sous elle. Elle voudrait disparaître, devenir invisible, mais leur existence la ramène brutalement à la sienne.
Elle les observe du coin de l’œil. Ils errent dans des mondes qu’elle ne comprend pas, mais leur étrangeté reflète quelque chose en elle : une incapacité à exister pleinement dans cette époque, dans ce corps, dans ce lieu.
Les regards qui brûlent
Leurs yeux ne voient pas, mais ils brûlent encore,
Des flammes qui s’élèvent de corps sans accords.
Ils marchent, s’arrêtent, dansent dans l’éther,
Et laissent des traces d’ombres sur l’air.
Elle se cache, ses mains sous ses genoux,
Comme si l’invisible la touchait malgré tout.
Ces présences la hantent, la rendent étrangère,
Dans une époque déchirée, brutale et amère.
19 octobre 2024, 23h10
License to kill
La nuit est lourde, et les bruits de l’unité s’éteignent un à un, comme des bougies soufflées par une main invisible. Mais ce silence, loin de calmer Caroline, la pousse à écouter ses propres pensées. Elles surgissent en cascade, s’entrechoquent, se brisent dans un chaos sourd.
Une phrase traverse son esprit, venue de nulle part, ou peut-être d’un souvenir qu’elle croyait enfoui. Une chanson. “L’homme a inventé son destin, la première étape a été de toucher la lune.” Elle ferme les yeux et laisse résonner cette pensée, un écho de la voix rauque de Dylan.
Caroline murmure presque :"Si l’homme a inventé sa propre perte, peut-être que moi aussi j’ai forgé la mienne. Peut-être que mes mains tremblantes, mon corps brisé, tout cela est le résultat de choix que j’ai faits, d’une route que j’ai empruntée, sans jamais savoir où elle menait."
Elle regarde ses mains et repense aux fleurs qu’elle dessinait. Pas celles qu’elle connaissait, celles aux pétales abîmés qu’elle aimait tant capturer, mais une fleur différente. Une fleur qui ne tremble pas sous le poids de la lumière, une fleur qui ne ploie pas au vent de ce monde brutal.
Elle se promet, en silence :"Ce sera pour inventer une fleur qui n’existe pas dans ce monde, une fleur qui pourrait survivre."
Cette idée germe doucement, malgré le chaos. Une image fragile, mais persistante. Peut-être qu’un jour, ses mains pourront tenir un crayon à nouveau. Peut-être qu’un jour, elles pourront redessiner.
Une époque étrangère
Ce monde, ces murs, ces lumières sans vie,
Sont-ils réels ou des ombres qui crient ?
Une époque fanée, un temps déchu,
Un présent brisé, un avenir perdu.
20 octobre 2024, 23h10
Le vœu
Le silence de la nuit n’est jamais complet ici. Même lorsque les bruits des autres patients s’éteignent, ils laissent une vibration dans l’air, comme un écho persistant.
Je regarde mes mains. Elles tremblent encore, mais je me dis que peut-être, elles ne sont pas complètement inutiles. Peut-être qu’un jour, elles pourront tenir un crayon à nouveau. Peut-être qu’elles pourront redessiner des fleurs.
Ce soir, je fais un vœu.
La promesse d’un torse
Elle imagine un torse, un souffle, un lieu,
Un espace calme entre l’ombre et les cieux.
Pas un salut, pas une délivrance,
Mais une ancre fragile contre l’errance.
21 octobre 2024, 22h42
Fleur
Je ferme les yeux et respire. Le monde autour de moi reste figé dans son absurdité. Mais quelque part, dans ce silence imparfait, je sens qu’un fragment de moi subsiste. Une fleur imaginaire. Pas encore réelle, mais possible.
Je me dis que peut-être, cette fleur pourrait devenir quelque chose d’immense. Plus grande que ce monde injuste, plus forte que cette cage. Cette fleur qui ne dépendrait ni des saisons, ni des vents. Ma fleur qui, pour vivre, n’aurait besoin que d’un souffle.
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